Quel commentaire faites-vous du premier gouvernement du second mandat de Roch ?
C’est un gouvernement qui matérialise la progression de plus en plus marquée des hommes politiques traditionnels (issus des partis politiques) et le reflux des acteurs non partisans qui ont été en première ligne à partir de 2014. Il peut s’agir d’une normalisation qui comporte à la fois des avantages et des inconvénients. On s’apprête à évaluer très rapidement l’efficacité d’un gouvernement où se retrouvent des dirigeants des principaux partis politiques du pays (MPP, UPC, UNIR-PS, NTD).
La formation de ce gouvernement, de l’avis d’une bonne partie de l’opinion, a pris du temps. Qu’en dites-vous ?
Il n’y a aucun délai légal de formation d’un gouvernement. Les exigences politiques et techniques auxquelles doit répondre un gouvernement, surtout après des élections nationales, ont certainement été à l’origine de ce temps mis à publier le gouvernement. Les défis à relever nécessitent aussi que toutes les précautions soient prises pour ne pas commettre des erreurs de castings trop importantes. Remarquez qu’en Côte d’Ivoire voisine, le président de la république a été élu depuis le 31 octobre 2020 et n’a toujours pas modifié son gouvernement. Les concertations politiques en vue de résorber la crise violente pré et post-électorale justifient le temps pris pour composer le gouvernement. Je pense que ces questions dépendent des contextes socio-politiques et de la solidité des Etats et des systèmes politiques, parce que dans d’autres contextes, notamment en Occident, les gouvernements se forment plus vite. Par exemple, douze jours avant son investiture, les membres du cabinet du président américain élu Joe Biden sont déjà connus.
Le parti au pouvoir s’est taillé la part du lion en termes de nombre de portefeuilles. Etes-vous surpris ou comprenez-vous cela ?
J’estime qu’il ne faut pas faire de mauvais procès. Quand il y a des irrégularités, je suis prêt à les dénoncer et quand il n’y pas de problème, je dois aussi le dire. Le MPP a remporté les élections le 22 novembre 2020. Au parlement, ce parti et ses alliés détiennent une très large majorité, en particulier avec l’arrivée de l’UPC dans la majorité présidentielle. C’est donc tout à fait légitime que le gouvernement soit dominé par ce groupe de partis politiques qui soutiennent le chef de l’Etat. Seul le peuple burkinabè est responsable de cet état de fait en ayant, soit voté pour cette mouvance politique, soit en se tenant à l’écart du processus électoral (enrôlement et vote). Après, on ne peut que respecter le déroulement qu’on constate aujourd’hui.
Que pensez-vous de l’entrée de Zéphirin Diabré dans le gouvernement et celle de Sankara Bénéwende dans une certaine mesure ?
Zéphirin Diabré est un homme politique et son ambition est d’exercer le pouvoir d’Etat. Il utilise les possibilités politiques, juridiques et institutionnelles pour cela. Après le soulèvement populaire du 30 octobre 2014, il aurait dû prendre une dimension majeure dans la vie politique du pays, surtout après les élections de fin 2015. Son ralliement à la mouvance de Roch Kaboré entraîne une sorte de « clarification » de la scène politique burkinabè. On retrouve d’un côté les mouvements et partis politiques qui ont réalisé l’insurrection et de l’autre, ceux qui ont subi ce bouleversement socio-politique.
D’autre part, la réconciliation étant devenue un thème émergent de l’agenda politique du pays, endossé maintenant par le chef de l’Etat, il fallait une personnalité spéciale pour conduire cette mission finalement très délicate au vu de la complexité des sujets qui rentrent dans le champ de cette réconciliation. Zéphirin Diabré dispose de la personnalité à la fois politique et technique pour, non seulement discuter avec tous les acteurs devant être impliqués dans cette opération, mais aussi pour conduire l’institutionnalisation d’un ministère totalement inédit. En fait, il faut remarquer que ceux qui critiquent l’entrée de Zéphirin Diabré au gouvernement, ont tous une approche individualiste des événements. Quand on s’élève au niveau du cours de l’histoire politique récente et surtout des intérêts urgents des Burkinabè (sécurité et progrès socio-économique), la focalisation sur les détails liés à la personne est presque délictuelle.
Quant au sujet même de la réconciliation, d’aucuns avancent que rien ne justifie une réconciliation au Burkina Faso. Refuser la réconciliation, c’est aussi nier toutes ces morts de FDS et civils burkinabè depuis 2016, occasionnées par le terrorisme, avec leur cortège de drames humains, et cela relève purement et simplement du cynisme. Les milliers d’enfants qui ne peuvent plus aller à l’école, depuis au moins 2017 et le million de déplacés internes ne seraient-ils pas une raison suffisante pour tenter de ramener un climat social et politique apaisé. Aussi, toute la violence politique, depuis 1960, dont les stigmates sont toujours visibles dans la société burkinabè, n’est-elle pas problématique pour ceux qui ont une attitude négationniste de la réconciliation. Il y a une foule d’arguments en faveur de la réconciliation nationale que nous déploierons au fur et à mesure du processus enclenché par la nomination de Zéphirin Diabré. En réalité, ceux qui constituent le courant du scepticisme de la réconciliation, sont tous motivés par la protection de certains intérêts bien précis, que la réconciliation traitera aussi, le moment venu.
Quelles chances pour Diabré de réussir sa mission de réconcilier les Burkinabè ?
Le principal atout de la réconciliation est que les esprits, au Burkina Faso, sont globalement prêts pour ce processus, non pas pour faire plaisir à un tel ou tel, mais surtout pour mettre derrière nous ce passé très douloureux, où même ceux qui n’ont pas subi de violences sont contraints d’être permanemment sur leurs gardes. La connaissance du milieu politique et social de Zéphirin Diabré lui servira aussi pour mener des échanges avec presque tous les groupes devant intervenir dans les processus de cohésion nationale. Il a aussi un carnet d’adresses international suffisamment fourni pour faciliter les dimensions géopolitiques liées à la réconciliation nationale.
Quelles sont les principaux chantiers du gouvernement ?
Pour le gouvernement, les choses sont claires. Le programme du Président du Faso devient l’agenda d’action. Les dix chantiers identifiés lors de la campagne électorale serviront de référentiels aux différents départements ministériels pour définir leur planification. Chaque ministre pourra cependant apporter sa touche personnelle, en négociant avec le chef de l’Etat pour améliorer le travail à effectuer.
Comment entrevoyez-vous la vie de l’opposition politique désormais dirigée par le CDP ?
Après le départ de l’UPC à la majorité présidentielle annoncée par son président, l’opposition sera quelque peu réduite en termes de députés à l’Assemblée nationale. Cela ne devrait cependant pas influencer sa capacité à apporter la contradiction au gouvernement sur tous les sujets possibles. Les occasions de jouer les contrepouvoirs ne vont pas du tout manquer, tant les défis du pays sont nombreux. Cette question de la réconciliation nationale peut déjà donner une occasion à l’opposition de se faire entendre. Le CDP est un parti politique suffisamment solide pour assurer le leadership de l’opposition. Son principal défi va être la communication politique fréquente à laquelle son président n’est peut-être pas encore assez habitué pour le moment.
Adama Guèbre